Depuis le Moyen
Age, le monde Nordique n'as cessé de conter. Trolls, tomtes, elfes,
nixes ont fini par passer les frontières scandinaves. En voici
quelques courtes histoires:
L'origine des elfes
Un jour, Dieux tout-puissant vint trouver Adam et Ève. Ils lui
firent bel accueil et lui montrèrent tout ce qu'il possédaient
dans leur maison. Ils lui montrèrent également leur enfants,
qui lui parurent tout à fait prometteurs. Il demanda à Ève
s'il n'avaient pas d'autre enfants, que ceux qu'elle lui avait montrés.
Elle dit que non. Mais il se trouve que Ève n'avait pas lavé
certain de ses enfants et que, pour cette raison, elle avait eu honte
de les faire voir à Dieu : aussi les avait-elle cachés.
Dieu le savait, et dit : " Ce qui doit m'être caché
sera caché aux hommes ." Et donc, ces enfants furent invisibles
aux hommes, ils habitèrent les monts et les hauteurs, les trous
et les pierres. De là viennent les elfes, mais les hommes viennent
des enfants qu'Ève montra à Dieu. Les humains ne peuvent
jamais voir les elfes, à moins que ceux-ci le veuillent, car eux,
ils peuvent voir les hommes et se laisser voir d'eux.
La peau de phoque
Une fois, il y avait un homme, dans l'est, dans le Myrdalur, qui passait
près des rochers le long de la mer, un matin, avant que les gens
ne se soit levés. Il arriva à l'entrée d'une caverne.
Il entendit, à l'intérieur de la grotte, tintamarre et danse,
et vit quantité de peaux de phoques dehors. Il emporta une peu
de phoque, la porta à la maison et la serra dans un coffre. Un
peu plus tard, dans la journée, cet homme revint à l'entrée
de la grotte et vis là une femme jeunette et jolie. Elle était
toute nue et pleurait fort. C'était le phoque à qui appartenait
la peau que l'homme avait prise. L'homme donna des habits à la
jeune fille. La consola et l'emmena chez lui. Elle lui était dévouée
mais ne liait guère amitiés avec autrui. Souvent, elle restait
assise toute triste, regardant vers la mer. Au bout de quelque temps,
l'homme l'épousa, tout alla bien entre eux et eurent des enfants.
Le paysan gardait toujours la peau sous clef dans le coffre, et portait
la clef sur lui, où qu'il allât. Une fois, après maintes
années, il s'en alla ramer en oubliant sa clef à la maison,
sous le bord de sons oreiller. D'autres disent que le paysan était
allé avec les gens de sa maison à la messe de Noël,
mais que la femme était malade et qu'elle n'avait pu l'accompagner.
Quand il s'était changé, il avait oublier de retire la clef
de la poche de ses habits de tous les jours. Mais lorsqu'il revint à
la maison, le coffre était ouvert, la femme et la peau, disparues.
Elle avait pris la clef et regardé ce qu'il y avait dans le coffre,
et y avait trouvé la peau. Alors elle n'avait pu résister
à la tentation, avait dit au revoir à ses enfants, s'était
glissée dans la peau et s'était précipitée
dans la mer. Auparavant, dit-on, elle aurait dis tout bas:
Je ne sais que faire,
J'ai sept enfant dans la mer
Et sept enfants sur terre.
On dit que l'homme fut très affecté
Ensuite, lorsque l'homme ramait à la pêche, il y avait souvent
un phoque qui nageait autour de sa barque et on aurait dit que des larmes
coulaient de ses yeux. Il fut désormais fort heureux à la
pêche et eut fréquemment grande chance. Souvent, lorsque
leurs enfants allaient sur le rivage, un phoque se montrait là,
devant eux, dans la mer, et il leur jetait des poissons de toutes les
couleurs et de jolis coquillages. Mais jamais leur mère ne revint
à terre.
Trunt, Trunt et les Trolls de la Montagne
Il y avait une fois deux hommes qui étaient partis cueillir des
lichens dans la montagne. Une nuit, ils étaient couchés
tous les deux dans leur tente. L'un dormait, l'autre veillait. Celui qui
veillait vit alors que celui qui dormait sortait en rampant. Il sortit
également et le suivit, mais il parvint à peine à
courir assez vite pour ne pas être distancé. L'homme se dirigeait
vers le glacier, en haut. L'autre vit une grande géante assise
sur un pic du glacier. Elle se comportait de telle sorte qu'elle tendait
alterna-tivement les bras en avant pour les ramener sur sa poitrine, et
c'est ainsi qu'elle envoûtait l'homme pour l'attirer vers elle.
L'homme lui courut droit dans les bras et elle s'enfuit en courant avec
lui. L'année suivante, les gens étaient en train de cueillir
des lichens au même endroit. L'homme qui avait été
enlevé vint alors à eux, il était silencieux et tourmenté,
Si bien qu'on tira à peine un mot de lui. Les gens lui demandèrent
en qui il croyait et il dit qu'il croyait en Dieu. L'année d'après,
il revint trouver les mêmes gens. Il avait alors tellement l'air
d'un troll qu'ils en furent épouvantés. On lui demanda tout
de même en qui il croyait, mais il ne répondit pas. Cette
fois-là, il resta moins longtemps qu'avant. La troisième
année, il vint encore trouver ces gens. Il était devenu
tout à fait troll, et horrible. Quelqu'un eut quand même
le courage de lui demander en qui il croyait, et il dit croire à
"Trunt, trunt et les trolls de la montagne". Puis il disparut.
Après cela, on ne le revit jamais et d'ailleurs, on n'osa plus
aller cueillir des lichens en cet endroit pendant plusieurs années
ensuite.
L'Ecole Noire
Il y avait autrefois, loin dans le monde, une école qui s'appelait
l'Ecole Noire. On y apprenait la magie et diverses sciences antiques.
Cette école était ainsi faite qu'elle se trouvait dans un
souterrain très solide. Il n'y avait aucune fenêtre, aussi
y faisait-il toujours noir comme dans un four. Il n'y avait pas de professeurs,
on apprenait tout dans des livres écrits en lettres rouge feu que
l'on pouvait lire dans l'obscurité. Ceux qui appre-naient là
ne pouvaient jamais aller en plein air ou voir la lumière du jour
tant qu'ils y restaient, et il leur fallait rester dans cette écoles
trois ou sept ans pour terminer leurs études. Chaque jour, une
main grise et velue entrait par le mur et tendait à manger aux
écoliers. Celui qui tenait cette école avait stipulé
que le dernier à quitter l'école, chaque année, lui
appartiendrait. Et comme ils savaient tous que c'était le diable
qui tenait l'école, chacun de ceux qui le pouvaient voulait éviter
d'en sortir le dernier. Une fois, il y eut trois Islandais à l'Ecole
Noire: Saemundur le savant, Kalfur Arnason et Halfdan Eldjarnsoon ou Einarson
qui, par la suite, Fût prêtre à Fell dans le Slettuhlid.
Ils devaient quitter l'école tous ensemble et Saemundur s'offrit
à sortir le dernier. Les deux autres s'en réjouirent. Saemundur
s'enveloppa dans un grand manteau, sans enfiler les manches et sans boutonner
un bouton. Il y avait un escalier pour remonter de la maison d'école.
Lorsque donc Saemundur arriva à l'esca-lier, le diable empoigna
son manteau en disant: "Toi, tu m'appartiens." Alors, Saemundur
se débarrassa de son manteau et sortit en courant. Il ne resta
que le manteau entre les mains du diable. Mais la porte de fer grinça
sur ses gonds et claqua Si fort sur les talons de Saemundur qu'il fut
blessé aux os des talons. Alors, il dit: "La porte a claqué
tout près des talons" - et c'est devenu depuis un proverbe.
Voilà comment Saemundur parvint à quitter l'Ecole Noire
avec ses camarades. D'autres disent que lorsque Saemundur le savant monta
l'escalier et passa les portes de l'Ecole Noire, le soleil brilla sur
lui et porta son ombre sur le mur. Quand, donc, le diable voulut s'emparer
de Saemundur, celui-ci dit: "Je ne suis pas le dernier. Tu ne vois
pas celui qui me suit?" Le diable saisit alors l'ombre qu'il prit
pour un homme et Saemundur s'échappa et la porte claqua sur ses
talons. Mais à partir de ce moment là, Saemundur n'eut plus
jamais d'ombre parce que le diable ne la lui rendit jamais.
Le Skoffin, le Skuggabaldur et L'Urdarköttur
Le skoffin est la créature, ou le monstre, qui provient d'un oeuf
de coq. Car lorsque les coqs deviennent vieux, ils pondent un oeuf, et
ces oeufs sont beaucoup plus petits que les oeufs de poule. Si l'on couve
un oeuf de coq, il en sort un être si maléfique que quiconque
le regarde tombe aussitôt mort, tant son regard est nocif. Il arriva
une fois, quelque part, dans une église, que, dès que les
gens en sortirent à la fin de l'office, ils tombèrent tous
morts l'un par-dessus l'autre. Les hommes les plus avisés et les
plus prudents de la paroisses en rendirent compte aussitôt, et surtout
le sacristain. Il arrêta les gens qui se pressaient pour sortir
et usa de l'expédient suivant: il attacha un miroir sur une longue
perche, se tint à l'intérieur des portes de l'église
et tendit la perche à l'extérieur de la façade, assez
haut pour que, pensa-t-il, le bout de la perche portant le miroir atteigne
le pignon de l'église. Puis il ordonna à tout le monde de
sortir et aucun mal ne fut fait à personne. Il avait deviné
la cause de cette hécatombe: le skoffin s'était placé
sur le pignon de l'église et avait vu tous ceux qui sortaient,
et voilà pourquoi ils étaient morts sur place. Mais lorsque
le sacristain eut brandi le miroir, ce fut sa propre image que le skoffin
vit, et quand cela se produit, c'est la mort immédiate de ces créatures.
Le monstre qui s'appelle skuggabaldur a les mêmes propriétés:
c'est un mélange de chat et de renard, d'autres disent, de chat
et de chien. Il y a encore une troisième créature qui possède
cette propriété, c'est l'urdar-köttur, un chat qui
s'est nourri de cadavres et qui a passé trois hivers de suite sous
terre, dans le cimetière. Nul être vivant, homme ou bête,
ne peut supporter le regard d'aucun de ces êtres malfaisants: qui
est l'objet de leur regard tombe mort. Il n'y a rien à faire pour
mettre à mort ces créatures maléfiques, à
moins qu'elles voient leur propre image ou qu'on les tire à bouton
d'argent en faisant trois signes de croix sur le canon du fusil avant
de tirer.
L'Ours qui lutta contre un Tonneau
En bas d'une montagne escarpée dans les Fjords de l'ouest, il y
a une ferme. Autrefois, habitait là un riche paysan qui avait une
grande remise en haut de la montagne, où il entreposait son poisson
et diverses autres choses. De la ferme, un chemin montait tout droit à
la montagne en passant à côté de la remise. Ce chemin
était creux et avait l'allure d'un défilé , car il
était bordé' de grosses pierres des deux côtés,
mais il était plat au fond. Le paysan s'aperçut que le soir,
une fois qu'il faisait noir, un ours arrivait, qui montait tout droit
le chemin de la remise. Il en avait au poisson du paysan et lui fit bientôt
de grands ravages. Il réfléchit à un moyen d'empêcher
cet ours de dévorer son poisson. Il fit fabriquer un très
gros tonneau qui emplissait complètement le chemin si on le faisait
rouler d'en haut de la montagne. Il le fit cercler de fer, puis le fit
rouler jusqu'en haut de la montagne et là, remplit de pierres et
referma bien le fond. Puis il fit poser ce tonneau au sommet de la crête,
là où commençait le chemin, et attendit que l'ours
arrive. Celui-ci survint au moment habituel et gravit la montagne sans
se douter de rien. Arrivé presque en haut, le paysan laissa le
tonneau dérouler sur lui. L'ours n'alla pas plus loin. Le tonneau
descendit la pente à toute vitesse et l'ours s'évertua de
toutes ses forces à l'arrêter encours de route. Il ne pouvait
faire demi-tour parce qu'alors le tonneau serait aussitôt sur ses
talons, et il ne pouvait pas non plus sauter par-dessus parce qu'il avait
besoin de toutes ses forces pour résister contre lui et qu'il ne
lui déroule pas par-dessus. De la sorte, il lutta contre le tonneau
toute la nuit. Lentement et péniblement, il recula peu à
peu devant lui, jusqu'à ce qu'ils arrivent tous les deux en terrain
plat. L'ours était alors sur le point de périr d'épuisement.
Alors, il décampa en jetant des regards furieux sur le tonneau
et la paysan le poursuivit de son rire. Depuis lors, l'ours laissa sa
remise en paix.
Gissur de Botnar
Au district des Rangârvellir, la contrée la plus élevée
et la plus écartée s'appelle Land ou Landsveit. Dans les
anciens temps, c'était un beau pays, propice à l'habitat,
mais il est désolé maintenant, à la fois à
cause de l'éruption du Hekla qui est juste à l'est du Land
et n'est séparé de lui que par le cours inférieur
de la rivière Rangà, et d'une chaîne de montagnes
où se trouve la ferme de Naefurholt, pendant longtemps la ferme
la plus élevée à l'est de la Rangà ou dans
les Rangàrvellir: cette ferme a été dévastée
par la dernière éruption du Hekla, de 1845 à 1846.
La basse Rangà coule juste près de la chaîne de montagnes
où se trouve Naefur-boIt, et pas très loin de cette ferme,
il y a un mont qui s'appelle Bjolfell. En remontant la Rangà, passablement
au-dessus de toute contrée habitée, tant dans les Rangarvellir
que dans le Land, un vaste défilé s'enfonce dans cette chaîne
de montagnes, vers le nord-est. Il est fermé par des rochers vers
le haut et des deux côtés alentour, mais il s'ouvre vers
le nord-ouest et l'ouest sur la Rangà: ce défilé
s'appelle Trollkonugil (Défilé de la Femme-troll) Tout en
haut du Land, au-dessus des Landskogar, le sol est ravagé par le
vent et tout couvert de sable; ce territoire s'appelle Kjallakatungur,
il s'étend loin à l'intérieur des hauts-prés
entre la rivière Thjorsà à l'ouest et la Rangà
à l'est, jusqu'au-dessus de la source de la Rangà. Quand
on remonte vers l'intérieur des terres, ce n'est à propre-ment
parler que désert de sable et le passage n'est pas très
large entre les rivières à l'endroit du mont Burfell, à
l'ouest de la Thjorsà, en face des Kjallakatungur. Jadis, deux
femmes-trolls habitaient, l'une le Bjolfell et l'autre le Burfell; elles
étaient soeurs et s'entendaient bien. Aussi la femme-troll du Burfell
allait-elle souvent trouver sa soeur à l'est en traversant la Thjorsà
et la Rangà, à Bjolfell, et l'on peut penser que sa soeur
du Bjolfell faisait de me même, bien que cela ne soit pas mentionné.
Le Burfell est très rocheux et tombe à pic de tous les côtés.
A l'est de là, à peu près au milieu de la montagne
d'en face, il y a deux plates-formes rocheuses, chacune d'un côté
de la Thjorsà, pas très élevées, et entre
ces plates-formes montent de la rivière deux blocs de pierre à
peu près aussi hauts que les plates-formes, en sorte qu'à
cet endroit, la rivière coule en formant trois bras. On dit que
c'est la femme-troll du Burfell qui a posé ces marches dans la
Thjorsà pour n' avoir pas besoin de se mouiller les pieds quand
elle allait voir sa soeur, et qu'elle passait la rivière en trois
bonds. Ces rochers s'appellent depuis Trollkonuhlaup (Bonds-de-la-Femme-troll).
D'un bout à l'autre des Kjallakatungur passe le grand chemin pour
aller vers le nord par les hauts prés de Landmenn ou de Holtamenn,
qu'il s'agisse d'aller à la recherche des moutons ou à la
pèche ou à la chasse aux cygnes ou de déterrer des
racines dans ces hauts prés, et l'on est souvent passé par
là en été, aux jours d'autrefois comme aujourd'hui.
Car il y a dans ces hauts prés de Landmenn quelques-uns des lacs
les plus poissonneux du pays, les Fiskivötn, et, sur leurs bords,
on trouve beaucoup de cygnes tandis que l'angélique pousse un peu
partout. Dans le Landsveit, il y a une ferme assez loin vers le sud, qui
s'appelle Botnar ou plutôt que l'on nomme en général
Laekjarbotnar. Au moment où se passe cette histoire, habitait là
un paysan qui s'appelait Gissur. Un jour, en été, il était
allé dans les hauts prés, pêcher, et il tirait son
cheval par la bride. Quand il estima avoir assez chargé son cheval,
il se mit en route pour rentrer chez lui. On ne raconte rien de son voyage
tant qu'il ne fut pas arrivé dans les Kjallakatungur, en face de
Tro~llkonuhlaup. Il entendit alors une voix horrible appeler dans le Burfell:
"Soeur, prête-moi un pot." En face, de l'est, dans le
Bjolfell, on répondit d'une voix aussi horrible: "Que veux-tu
en faire?" Alors la femme-troîl du Burfell dit: "Y faire
cuire un homme." Celle du Bjolfell demanda: "Qui cela?"
L'autre répondit: "Gissur de Botnar, Gissur de Laekjarbotnar."
A ce moment, le paysan Gissur vint à lever les yeux sur le Burfell
et il vit la femme-troll dévaler la pente et se diriger droit sur
Trollkonuhlaup. Il pensa qu'elle avait l'intention de mettre ses propos
à exécution et qu'il était grand temps pour lui de
défendre sa vie. Il détacha alors les sangles du chargement
de son cheval de bât et pressa le cheval qu'il montait et qui était
une remarquablement bonne bête. Il ne regarda pas en arrière
ni ne relâcha sa bride et chevaucha tant qu'il put, mais il crut
bien que la femme-troll allait le rattraper car il l'entendait de mieux
en mieux haleter en courant. Il prit le chemin le plus direct à
travers le Land, la femme-troll sur ses talons. Mais il eut la chance
que les gens de la ferme de Klofi virent sa course et celle de la femme-troll
quand ils arrivèrent sur la lande Merkurheidi. Ils réagirent
promptement car les deux autres approchaient bon train, ils sonnèrent
toutes les cloches de l'église de Klofi au moment où Gissur
parvenait à pénétrer dans le pré clos. Dés
que la femme-troll vit que Gissur lui échappait, elle jeta sa hache
vers lui, Si bien qu'à peine arrivé sur le pavé,
son cheval, la hache enfoncée jusqu'au manche dans les reins, tomba
mort sous lui. Gissur remercia bellement Dieu de sa délivrance.
Pour la femme-troîl, il faut dire qu'elle fut tellement saisie en
entendant le son des cloches qu'elle fut prise d'épouvante et se
remit à courir de toutes ses forces; on la vit passer depuis diverses
fermes du Land et elle se dirigea beaucoup plus à l'est de son
territoire car elle alla obliquement vers l'est en montant vers le Défilé
des la Femme-troll, et c'est là qu'on la trouva, épuisée,
quelques jours plus tard. Le défilé tire son nom de là,
il s'appelle depuis Défilé de la Femme-troll. Jamais, que
l'on sache, sa soeur du Bjolfell ne fit de mal aux gens de la contrée,
d'ailleurs, elle n'intervient guère dans les histoires et l'on
ne sait pas bien ce qu'il est advenu d'elle après cela. Certains
pensent qu'elle a transporté sa résidence du Bjolfell à
Tröllkonugil parce qu'elle devait aimer habiter près des humains.
Certains en donnent pour preuve qu'une fois, deux hommes allaient comme
d'habitude du Landsveit aux hauts-prés, se mettre à la recherche
de leurs moutons. Ils eurent mauvais temps et firent demi-tour car il
leur parut impossible de chercher plus loin. Alors ils essuyèrent
une tempéte de neige venant du nord. Il se fit qu'ils se perdirent,
sans savoir où ils se trouvaient. Ils n'en continuèrent
pas moins, le vent dans le dos, n'ayant pas d'autre moyen de s'orienter.
Ils allèrent de la sorte un long moment, vingt-quatre heures à
ce qu'ils estimèrent, sans voir à plus de la longueur d'un
pied devant eux. Et, sans avoir eu le temps de se rendre compte de rien,
ils tombèrent tous les deux en même temps au bas d'un rocher
escarpé et descendirent sur un amas de neige molle. Là,
ils s'étendirent un moment parce qu'ils étaient exténués
tous les deux et épuisés par le mauvais temps, et s'assoupirent
plus ou moins. Quand ils se furent un peu remis, ils discutèrent
pour savoir où ils aient arrivés et ils présumèrent
qu'ils ne pouvaient être parvenus nulle part ailleurs qu'à
Tröllkonugil et qu'ils avaient échoué du côté
nord. Ils se reprirent autant qu'ils purent et errèrent un moment
le long de la neige. Il y avait là abri en suffisance mais la tempête
de neige était dense et obscure et, de temps à autre, ils
voyaient se profiler les rochers au bord du défilé. Ils
résolurent de chercher un quelconque abri, Si possible où
ils pourraient se restaurer. Ils pénétrèrent alors
le long du défilé et, en cours de route, il leur sembla
voir un reflet de lumière luire dans la tempête de neige,
comme Si une bûche de bois brûlait, et il leur sembla sentir
l'odeur du bois consumé. Puis le reflet de lumière disparut
complètement, la tempête de neige diminua au fur et à
mesure qu'ils s'enfonçaient dans le défilé. Ils marchèrent
jusqu a qu ils arrivent à un immense enclos: il était fait
de pierres d'une taille énorme. Là, le tourbillon de neige
était petit parce que les rochers escarpés du défilé
se refermaient au-dessus de leurs tête, ils se trouvaient comme
dans une caverne. Là, ils ouvrirent leurs havresacs et se restaurèrent
du mieux qu'ils purent. Puis ils remballèrent leurs provisions,
envisageant d'attendre patiemment le matin en faisant les cent pas pour
garder leur chaleur. L'un dît alors: "Je voudrais bien avoir
un gruau aussi brûlant que je pourrais le manger, et en suffisance,
et quelque chose de bon en plus." A peine avait-il fini de parler
qu'une louche de gruau fut posée sur l'enclos de pierres, avec
de la crème en plus : l'accompagnèrent aussi deux cuillers
de corne. Les hommes prirent la louche et se régalèrent
de son contenu, puis ils la reposèrent sur l'enclos. Après
cela, leur humeur se rasséréna, Si bien qu'ils se mirent
à plaisanter entre eux et discutèrent de la façon
dont ils se divertiraient pendant la nuit pour ne pas s'endormir. Ils
tombèrent d'accord pour que l'un d'eux, qui récitait bien
les poèmes, trompe le temps par quelques poésies, mais il
déclara qu'il ne savait pas quoi réciter. Ils entendirent
alors que l'on appelait de l'intérieur de la grotte, d'une rauque
voix de femme-troll: "Les Andrarimur sont beaux quand on les récite
bien." Le récitateur les commença alors et déclama
toute la nuit, car il les savait bien. Dès qu'il eut terminé,
le jour parut, il faisait beau et une croûte de neige avait tout
recouvert. Les deux hommes se rendirent chez eux et racontèrent
cette histoire à la ronde, et l'on pensa ensuite que c'était
la femme-troll qui, auparavant, était dans le Bjolfell, qui avait
dû leur donner le gruau.
Bukolla et le Gamin
Il y avait une fois un homme et sa femme dans leur chaumine. Ils avaient
un fils mais ils ne faisaient pas grand fond sur lui. Il n'y avait qu'eux
trois dans la chaumine. Le bonhomme et sa femme avaient une vache, c'était
tout leur bétail. Cette vache s'appelait Bukolla. Un jour, Bukolla
vêla et ce fut la femme en personne qui l'aida. Quand la vache eut
vêlé et eut repris ses états, la bonne femme rentra
en courant à la ferme. Un peu plus tard, elle revint voir la vache:
elle avait disparu. Le bonhomme et sa femme se mirent à sa recherche,
cherchèrent partout et longtemps, mais revinrent les mains vides.
Ils étaient de mauvaise hu-meur et ils ordonnèrent au gamin
de décamper et de ne pas reparaître à leurs yeux qu'il
n'ait ramené la vache, ils lui fournirent un casse-croûte
et des chaussures neuves et le voilà parti. Il marcha longtemps,
longtemps, jusqu'à ce qu'il s'assoie et se mette à manger.
Alors, il dit: "Meugle, maintenant, ma Bukolla, Situes envie quelque
part." Alors, il entendit la vache meugler loin, loin. Le gamin marcha
encore longtemps, longtemps. De nouveau, il s'assit pour manger et dit:
"Meugle, maintenant, ma Bukolla, Si tu es en vie quelque part."
Il entendit Bukolla meugler un peu plus près que précédemment.
De nouveau, il marcha longtemps, longtemps, jusqu'à ce qu'il arrive
au bord d'un dangereux précipice. Là, il s'assit pour manger
et dit: "Meugle maintenant, ma Bukolla, situes envie quelque part."
Il entendit alors la vache meugler droit en dessous de lui. Il descendit
dans le précipice jusqu'à ce qu'il parvienne à une
très grande grotte. Il y entra et là, il trouva Bukolla
attachée à la paroi. Il la détacha aussitôt
et la mena dehors, puis prit le chemin de la maison avec elle. Il avait
fait un bout de chemin lorsqu'il vit une femme-troll terrible-ment grande
qui était à ses trousses, avec une autre femme-troll plus
petite. Il vit que la grande faisait de Si vastes enjambées qu'elle
le rattrape-rait bientôt. Alors, il dit: "Qu'allons-nous faire
maintenant, ma Bukolla?" Elle dit: "Tire-moi un poil de la queue
et pose-le par terre." C'est ce qu'il fit, Alors, la vache dit au
poil:
Je jette un sort
et je dis:
Sois une large et impétueuse rivière
Que seuls les oiseaux volants puissent passer.
A l'instant même,
le poil devint une impétueuse rivière. Quand la géante
arriva à cette rivière, elle dit: "Ce n'est pas cela
qui te sauvera, gamin. Cours à la maison, ma fille, dit-elle à
la géante plus petite, et va chercher le gros taureau de mon père."
La fille y alla et revint avec un énorme taureau qui but aussitôt
toute la rivière. Le gamin vit alors que la géante allait
le rattraper sur-le-champ tant elle faisait de grandes enjambées.
Il dit: "Qu'allons nous faire maintenant, ma Bukolla?" "Tire-moi
un poil de la queue et pose-le par terre," dit-elle. C'est ce qu'il
fit. Alors, la vache dit au poil:
Je jette un sort
et je dis:
Sois un brasier
Si grand Que seuls les oiseaux volants puissent le passer.
A l'instant même,
le poil devint brasier. Envoyant ce feu, la géante dit: "Ce
n'est pas cela qui te sauvera, gamin. Va chercher le gros taureau de mon
père, ma fille," dit-elle à la plus petite géante.
Celle-ci y alla et revint avec le taureau qui urina toute l'eau de la
rivière qu il avait bue et éteignit le brasier. Le gamin
vit alors que la géante allait le rattraper sur-le-champ, tant
elle faisait de grandes enjambées. Alors, il dit: "Qu'allons-nous
faire maintenant, ma Bukolla?" "Tire-moi un poil de la queue
et pose-le par terre," dit-elle. Puis elle dit au poil:
Je jette un sort
et je dis:
Sois une montagne
Si haute Que seuls les oiseaux volants puissent la passer.
Le poil devint
alors une montagne Si haute que le gamin ne voyait plus rien que le ciel
clair. Lorsqu'elle arriva à cette montagne, la géante dit:
"Ce n'est pas cela qui te sauvera, gamin. Va-t-en chercher la grande
vrille de mon père, ma fille," dit-elle à la géante
plus petite. La fille y alla et revint avec la vrille. Alors, la gêante
fora un trou dans la montagne, mais dès qu'elle put voir, par ce
trou, de l'autre côté, elle se trouva tellement pressée
qu'elle s'y faufila. Mais il était trop étroit, Si bien
qu'elle y resta coincée et, pour finir, devint rocher: elle y est
encore aujourd'hui. Pour le gamin, il revint à la maison avec sa
Bukolla, et le bonhomme et sa femme en furent remplis de joie.
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