Il était
une fois un petit bébé macareux nommé Moko qui
était né sur l'île de Vigur. Il était subrepticement
sorti d'un uf déposé tout au fond d'un trou que
ses parents avaient creusé pour protéger leur progéniture.
Les jeunes macareux sont gris cendré. Moko en avait tellement
assez de rester sans bouger dans le noir qu'il décida de jeter
un coup d'oeil dehors. Jamais il n'aurait dû! C'était
fort dangereux et strictement interdit.
Sa mère, exactement à ce moment, s'est posée
sur la falaise au dessous de lui. Elle ne pouvait pas le gronder parce
que son bec était plein d'équilles. Le petit macareux
était ravi de la revoir car il se mourrait de faim. Les parents
oiseaux n'ont pas le temps de se reposer. Ils n'arrêtent pas
d'aller chercher de la nourriture, et voient pour cela jusqu'à
trente kilomètres de distance.
Quand les Oisillons avaient grandi un peu, ils avaient le droit de
sortir et de regarder les macareux adolescents s'amuser à tracer
des cercles dans le ciel autour de l'île. Ils n'étaient
encore qu'une bande de jeunes oiseaux paresseux et n'avaient guère
de plomb dans la tête, mais leur bec, comme celui des adultes,
s'ornait de toutes les couleurs de l'arc en ciel. Les oisillons les
enviaient. Leur plus grand voeu était d'avoir aussi un bec
arc-en-ciel
Ils voyaient, en regardant autour d'eux, les montagnes au loin et
les langues de terre qui s'avançaient. Le soleil, à
présent, pointait au dessus d'Hesturinn, la plus grande montagne
des environs. Le petit Moko aurait aimé voler au dessus du
sommet de cette montagne. Son père disait qu'en hiver il devait
partir au delà des monts et survoler l'immense Océan
Atlantique.
Les jeunes oiseaux menaient une vie insouciante. Ils dansaient et
se battaient l'un contre l'autre. Non sans danger parfois, près
du bord des falaises. Certains essayaient leurs ailes. Ils grandissaient
et se conformaient petit à petit au comportement des adultes.
Leur poitrine et leurs joue blanchissaient. Et mieux encore de fines
raies rouges se dessinaient à la frange de leur bec! Leur voeu
le plus cher allait se réaliser!
Les jeunes oiseaux menaient une vie insouciante. Ils dansaient et
se battaient l'un contre l'autre. Non sans danger parfois, près
du bord des falaises. Certains essayaient leurs ailes. Ils grandissaient
et se conformaient petit à petit au comportement des adultes.
Leur poitrine et leurs joues blanchissaient. Et mieux encore de fines
raies rouges se dessinaient à la frange de leur bec! Leur voeu
le plus cher allait se réaliser!
Le danger guette à chaque coin de vague hors de chez soi. Moko
"le gris", comme on le surnommait à présent,
s'exerça un jour à affiner sa technique de vol et dépassa
la ferme du sud de l'île. Un faucon, soudain, piqua sur lui.
C'était le plus dangereux ennemi des macareux. Il allait asséner
un coup d'aile sur l'oiseau quand il prit la mesure de sa laideur
et partit à tire d'aile.
Moko, le jour suivant, se tenait fort dépité sur une
falaise quand un aigle des mers, le plus grand oiseau d'Islande, plongea
sur lui, bien résolu à n'en faire qu'une bouchée.
Mais le voilà qui brusquement éclate de rire: "Comme
tu es laid!"
Les parents de Moko se faisaient beaucoup de soucis pour leur fils.
Il avait le coeur brisé et les autres macareux se moquaient
de lui. lis le poussaient, lui donnaient des coups de becs, ne voulaient
pas le connaître. Ses parents faisaient de leur mieux pour le
protéger, mais il avait perdu tout appétit de vivre.
Il commença à pleurer, les larmes coulaient sur ses
joues d'un gris sale. "Je suis si laid et si horrible que personne
ne se risque à me regarder", gémissait- il. "Même
le faucon et l'aigle me méprisent. Oh mon Dieu, pourquoi ne
pas m'avoir gratifié d'un nez rouge?"
La situation était devenue si inquiétante que Moko réagit
avec l'énergie du désespoir. Il décida de s'enfuir,
pour que ses parents n'aient plus à se faire de soucis pour
lui. Il enveloppa secrètement quelques provisions dans un baluchon
qu'il fixa au bout d'un bâton et partit. Il voulait parcourir
à l'aventure le vaste monde. et pourtant, combien cela lui
faisait mal de quitter cette île si belle avec les montagnes
Hyrnur au loin.
Moko n'alla pas très loin. Il eut la malchance de s'égarer
sur les terres où nichaient les sternes. Les sternes sont des
oiseaux de petite taille, mais sont extrêmement irritables.
Nul n'a le droit de franchir leur territoire. Moko entendit tout à
coup leurs criailleries dans le ciel et les vit plonger sur lui. Les
sternes s'emparèrent de son baluchon et le transportèrent
hors de leur territoire.
Moko était désemparé. Mais il eut l'idée
de marcher jusqu'au rocher des elfes, sur la plus grande hauteur au
nord de l'île de Vigur. Un endroit est glacial, battu par les
vents froids venus des montagnes du nord.
Une vieille croyance dit que celui qui s'allonge au pied du rocher
s'en- dormira et que la reine des elfes lui viendra en aide. Quand
Moko se réveilla après s'être endormi, il était
convaincu que la reine lui était apparue en rêve. Aurait-elle
donné quelques couleurs à son bec?
Il n'avait aucun moyen de s'en assurer, car les yeux des macareux
sont disposés latéralement, et ils ne peuvent apercevoir
le bord de leur bec. Il eut alors une brillante idée. Il irait
à la recherche de l'étang perdu. C'est une pataugeoire
située près de la mer. Son eau tiède sourd de
la terre. Les oiseaux viennent s'y désaltérer, s'y laver
et y brosser leur bec.
Croyez-le si vous le voulez, un miracle S'est produit sur l'île
de Vigur ce jour-là. Il a été dit que quand le
petit Moko a atteint l'étang, un écran de gouttes de
pluie est passé devant le soleil et s'est mué en un
splendide et lumineux arc-en-ciel. On pense que Moko s'est penché
sur l'eau au moment précis où l'arc-en-ciel était
dans le prolongement de son bec.
Ce fut le plus beau moment que Moko ait jamais vécu. Quand
il a vu son bec se miroiter dans le petit étang en déployant
toutes ces couleurs, Moko fut convaincu que la reine des elfes avait
accompli un miracle. Il était fou de bonheur. Il retrouva sa
joie de vivre, et se précipita chez lui. Ses parents ne se
mirent pas en colère. lis le prirent dans leurs ailes et firent
fête à leur fils qui s'était égaré.
Tous les macareux, maintenant étaient joyeux. lis se retrouvaient
devant le moulin. Moko était le plus gai de tous. Il était
toujours de bonne humeur, et tous auraient voulu être son meilleur
ami. Ils dansaient sur la grève avec tant d'ardeur et d'enjouement
que les ailes du vieux moulin, qui étaient restées immobiles
plusieurs dizaines d'années, se mirent à tourner à
l'unisson.
Le temps qui passe, hélas, ne laisse aucun répit. Il
ne peut jamais rester en place, mais doit toujours poursuivre sa marche
impitoyablement. L'automne approchait, et le soleil de minuit avait
disparu. L'herbe commençait à jaunir. Avant de partir
pour leurs quartiers d'hiver sur les côtes poissonneuses de
Terre-Neuve, les macareux ont mis leurs nouveaux habits. lis ont abandonné
jusqu'au printemps prochain les belles teintes de l'été.
Et c'est ici que s'achève ce petit conte sur notre ami Moko.
Certaines questions pourtant restent sans réponses:
Est-il possible qu'un miracle ait vraiment eu lieu, ou sortait-il
tout droit de l'imagination de Moko?
Nous ne nous risquerons pas à trancher.
Il appartient à chacun d'émettre sa propre opinion.
Une chose pourtant est certaine.
Moko, cet été là, est devenu sans aucun doute
le plus mignon et le plus gentil macareux
de l'île de Vigur,
et c'est parce que la reine des elfes lui avait donné un coeur
en arc-en-ciel.
S'il vous reste un doute,
allez vous étendre au pied du rocher des elfes,
par une journée ensoleillée d'été,
au point culminant de Vigur,
et assoupissez-vous.
Peut-être que la reine des elfes
vous apparaîtra également en rêve.
Peut-être vous donnera-t-elle aussi
un coeur en arc-en-ciel.
Qui sait?